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Les idées naissent souvent d'une marche, d'une nage dans l'eau claire des lacs, en mangeant une tartine de confiture, pendant une insomnie, en jouant au Memory, en lisant des textes inspirés où se développent des idées nouvelles solidement charpentées. Lorsqu'elles apparaissent, il faut les pincer suffisamment fort pour les retenir jusqu'à la table de travail. Qu'elles soient de cuisine, d'atelier ou de bureau, les tables incarnent l'endroit où les intuitions prennent forme.
L'envie d'inviter des artistes à exposer des oeuvres pensées pour autant de plateaux a germé il y a quelques temps déjà. Elle prolonge ma lecture des textes de Lucy R. Lippard où l'écrivaine et historienne de l'art américaine, activiste et féministe, fait le constat que les artistes femmes bénéficient trop peu d'espaces physiques nécessaires à leur création et sont amenées à devoir travailler dans des espaces domestiques et principalement sur leur table de cuisine.
Cette idée est également nourrie d'une oeuvre de Hugues Reip intitulée 0,25 (1990-91) . Composée d'une série de 25 minuscules sculptures réalisées spontanément à partir de mie de pains, de gomme, de trombones, de clous, elle est présentée au public sur une table de cuisine en formica, icône domestique des années 1950.
Ce projet était resté dans un carnet, jusqu'à ce dramatique printemps 2020, vécu confiné en raison de la pandémie mondiale liée au COVID19. Privée de convivialité, d'échanges, de proximité, j'ai repensé à cette idée, qui aujourd'hui a, dans mon esprit, valeur de projet de résistance et d'attention portée aux pratiques artistiques intimes et domestiques.
Cette période de confinement a contraint les créateurs à reprendre des pratiques artistiques modestes et bricolées, quand pour d'autres il s'agit bien d'une pratique régulière. Ce projet met à l'honneur la relation que les artistes entretiennent avec leurs " tables de travail " : refuge, terrain de jeu ou passage obligé.
Pour La vie des tables, nous invitons les artistes à nous envoyer leurs propositions comme on envoie une lettre. Elles peuvent avoir été pensées pendant la période de confinement ou en réponse à cette invitation, elles peuvent être spontanées, modestes, construites ou sophistiquées. Les enveloppes ou les petits colis contenant les oeuvres pourraient être exposés, mettant ainsi en exergue la diversité des provenances, la beauté des timbres et la singularité des contenants.
Ce projet s'adapte ainsi à la réalité. Il s'accommode des contraintes liées aux distances et il actualise par nécessité et par jeu le mail art, né en 1962 avec la création par Ray Johnson de la New York Correspondance School of Art. Comme son nom le suggère, le mail art, se diffusait principalement par voie postale et de manière spontanée. Ce " mouvement " a annoncé la notion d'attitude comme objet, idée fondatrice de l'art contemporain des années 1970 et qui reste aujourd'hui un enjeu valide.
Les oeuvres proposées par les artistes seront exposées au Crédac sur une multitude de tables : de cuisine, de travail, en formica, en bois, en contreplaqué, peinte ou à l'état brut, haute ou basse, carrée, rectangulaire ou circulaire, composant un paysage évocateur du travail de la pensée et de l'intimité, de la maquette, de l'esquisse ou de la forme aboutie.
Si ce projet se veut solidaire des artistes, il l'est également des organisations sociales telles que les ressourceries et Emmaüs ébranlées économiquement par les conséquences de la pandémie. C'est grâce au mobilier glané dans ces organisations qu'une multitude de styles va cohabiter et laisser émerger la force de la vie intime.
Claire Le Restif
Entrée libre
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